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EUREUX, dans la baraque, celui qui savait s'occuper. A n'importe quoi. A découper des boîtes de conserves pour fabriquer un réchaud. A équilibrer une balance en carton. A sculpter un morceau de bois ...


Pierre Lelong admirait les camarades et secouait la tête :

- Moi, je n'ai pas le coeur à travailler ...

Et puis, un beau jour, il se décida. La "Cantine" lui fournit les cahiers, les crayons, les couleurs. Il se mit à l'oeuvre. Dans la travée, nous formions le cercle. Que d'heures gagnées contre le temps, à le regarder colorier les images !

Les voici, elles arrivent en droite ligne du camp. Des images sans littérature, vraies de cette simplicité qu'on atteint lorsqu'on est loin de tout et de tous. Des images sincères et familières.

Nous avons tous savonné notre linge du camp. Des images sans littérature, vraies de cette simplicité qu'on atteint lorsqu'on est loin de tout et de tous. Des images sincères et familières.

Nous avons tous savonné notre linge au lavoir, où officiaient aussi, autour de fourneaux diaboliques, d'étranges cuisiniers accroupis. Gare pour la lessive, aux taches de graisse ou de suie ! Nous avons tous suivi d'un oeil attendri l'inventaire des colis, et "discuté le coup" en essayant une pipe en porcelaine, autour des biscuits du Maréchal. Et ces controverses à la table de bridge, entre le broc de "salade russe" et la paillasse que le voisin va peut-être se décider à recoudre ...

La neige a envahi le camp, c'est le soir. Où s'en va-t-il celui-là, les mains dans les poches et pataugeant dans l'étroit sentier ? Sans doute est-ce son tour de théâtre. Et là-bas l'attendent la chaude atmosphère du spectacle, le bain de tiédeur et d'oubli.

N'avons-nous pas été tous ce camarade en chandail entre sa gamelle, sa boule, ses sardines et sa chope à tisane, qui relit amoureusement sa lettre ? La travée est vide : il en a profité pour s'enfermer un peu avec les siens. Il a fait un brouillon pour ne rien oublier, et pour dire le plus de choses avec le moins de mots. Maintenant, il relit ... Bientôt les autres vont rentrer et le vacarme reprendra. Minutes si rares de solitude précieuse et de silence.

Des images où nous nous retrouvons tous, nous qui avons vécu cela.

Puissent-elles être acueillies là-bas comme un témoignage de souvenir.

Et puissent ceux qui ne sont pas encore rentrés, se dire en tournant ces pages, que notre pensée ne les a pas quittés.


Henri CURTIL.

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